Compte-rendu de la 2e Journée doctorale Africa Antiqua

18 juin 2004

Historiographie de l'Afrique du Nord

Université Paris-Denis Diderot
105 rue de Tolbiac 75013
Salle 187, 1er étage

 

Ont participé à la journée :
Alexandre Asanovic, Leyla Barkati, Mohammed Benabbès, Raya Ben Guiza, Virginie Bridoux, Françoise Briquel-Chatonnet, Mouhadine Chaouali, Hédi Dridi, Roger Hanoune, Valérie Huet, Mathilde Jouannault, Mohamed Ali Ladhari, Jean-Pierre Laporte, Denis Lengrand, Eliane Lenoir, Maurice Lenoir, Leyla Najar, Sophie Saint-Amans, Nicolas Schmaltz, Meriem Sebaï-Bernard, Amel Tekki, Jean-Pierre Vallat, Filipp Von Rummel, Kenza Zinaï.

Présentation de la journée

JEAN-PIERRE VALLAT (JPV) a introduit la journée en remerciant les participants et le public et en se félicitant de la réalisation de cette rencontre. Il a rappelé le rôle de Paris 7 dans l'écriture de l'histoire de l'Afrique en rendant hommage à l'œuvre de MARCEL BENABOU et à l'impact international de La résistance africaine à la romanisation. Il a précisé l'enjeu que constitue l'histoire du Maghreb dans le monde universitaire et en particulier au sein de Paris 7 où cet espace géographique est revendiqué par plusieurs laboratoires aux problématiques différentes comme Sociétés occidentales ou le Sedet (introduire intitulé entier). Il a salué le groupe AFRICA ANTIQUA (AA) dont la nécessité de fédérer les jeunes chercheurs de l'Afrique du Nord peut s'illustrer par l'hétérogénéité des directeurs de recherches et des centres d'accueil de ces étudiants et doctorants. Grâce aux réunions régulières et au site Internet, il s'est félicité de la bonne visibilité de ce groupe de recherches. Il a souligné que la jeunesse des membres est salutaire pour un renouvellement du corps professoral et a engagé les jeunes post-doctorants à briguer les postes universitaires qui vont se libérer en raison de départs à la retraite. Il a terminé en souhaitant une agréable et enrichissante journée doctorale.

HEDI DRIDI (HD), l'un des membres fondateurs d'AA, a ensuite pris la parole et précisé le thème de cette deuxième journée doctorale : Historiographie de l'Afrique du Nord. Il a expliqué qu'elle faisait suite la première qui s'était déroulée à Aix-en-Provence en mai 2004 et dont le thème d'étude était Autour de l'eau en Afrique du Nord Antique. Il a remercié JPV et LEYLA BARKATI (LB), doctorante à Paris 7, pour l'accueil réservé à AA par Paris 7 tout au long de l'année. Il a ensuite présenté les motivations du groupe AA en rappelant que le principal enjeu était de faire circuler les informations touchant à l'histoire de l'Afrique du Nord Antique, que ces informations émanent de doctorants, d'étudiants ou de professeurs. HD a présenté les différents projets qui prenaient forme au sein du groupe et en particulier la constitution d'outils pratiques comme la numérisation d'une documentation difficile d'accès (cartes topographiques, corpus épigraphiques) ou encore l'initiation à des logiciels (Corel Drauw). Il a mentionné le rôle déterminant de MOHAMED BENABBES (MB), de SOPHIE SAINT-AMANS (SSA) et de MERIEM SEBAÏ-BERNARD (MSB) dans le fonctionnement du site Internet, vitrine du groupe. L'adresse du site a été communiquée au public. Il a ensuite évoqué les réunions mensuelles du groupe AA qui se font dans un cadre confidentiel, c'est-à-dire, entre jeunes chercheurs et étudiants ce qui permettait une plus grande liberté de parole. HD a souligné que cette " thérapie de groupe " devait finalement s'ouvrir régulièrement à un public élargi de non africanistes et se confronter, ainsi, aux multiples questions susceptibles d'être posées pour l'ensemble de la Méditerranée et de sa périphérie, d'où la présence parmi les intervenants de ALEXANDRE ASANOVIC (ALA) qui proposera de porter le regard vers l'est et la Russie de Pierre Le Grand. Ainsi, HD a conclut en précisant que ce thème : Historiographie de l'Afrique du Nord n'est pas nouveau mais que les modalités d'approche proposées par les différents intervenants permettent d'enrichir la façon dont on a réfléchit sur l'histoire de l'Afrique depuis l'époque des croisades à nos jours.

Communications du matin

SOPHIE SAINT-AMANS (SSA) a présidé la première demi-journée et a présenté les différents intervenants.

Mohamed Benabbès (Paris X) : " Matière pour une historiographie de la conquête arabe en Afrique du Nord : des croisades à 1830 "

Le premier intervenant, a soutenu sa thèse en février 2004, thèse dirigée par CLAUDE LEPELLEY. Il précise que le travail qu'il présente fait suite à des réflexions inspirées par sa thèse et constitue une nouvelle recherche.
Il propose donc d'exposer les premières réflexions que lui inspirent l'étude des sources occidentales sur la conquête arabe des Croisades à 1830. Du 7ème au 11ème siècle, l'Occident chrétien est sur la défensive et les contacts s'effectuent dans un seul sens, celui des invasions arabes. Ensuite, les Croisades et l'ouverture de nouvelles voies commerciales multiplient les contacts. Le premier corpus occidental de textes portant sur la conquête arabe date de la deuxième moitié du 2ème siècle et est constitué par le Père (Tolens ???). Il regroupe des documents évoquant la vie de Mohamed et la diffusion de l'Islam. L'apprentissage de l'arabe devient une nouvelle nécessité pour les Missionnaires et c'est en 1311 que le Concile de Vienne autorise l'ouverture de chaire d'arabe dans les universités de Cologne, Bologne, Vienne ???. Les premières traductions en latin de sources arabes et en particulier de chroniqueurs arabes chrétiens constitueront la base de la connaissance de l'Islam en Occident. La pratique veut que l'on traduise des chroniqueurs arabes eux-mêmes plutôt que de rédiger une œuvre. Le thème de ces œuvres est l'histoire des Arabes en général et, on ne recense pas de traduction consacrée à l'Afrique du Nord. C'est au 18ème siècle ??? qu'apparaissent les premières œuvres portant sur l'Afrique du Nord. Pour conclure, l'intérêt des Occidentaux concernant la conquête arabe s'est éveillé pendant les Croisades et cette connaissance de l'Islam et de son histoire a, tout d'abord, été réalisé par les Missionnaires (13ème et 14ème siècles). Elles fut développée par les premiers Orientalistes au 17ème siècle. Cette histoire est sujette à beaucoup de clichés et semble très déséquilibrée en raison de l'importance apportée à certaines sources et le silence d'autres. S'ajoutent à cette qualité relative, les notes et commentaires souvent médiocres apportés aux traductions par les premiers éditeurs.

Philipp von Rummel (Friburg) : " La 'Frühgeschichte' allemande et les Vandales en Afrique "

L'Afrique du Nord n'a jamais été, contrairement aux autres régions méditerranéennes, un espace d'engagement renforcé de l'archéologie allemande. Traditionnellement aux mains des archéologues français, ou italiens pour la Libye, les recherches allemandes sur l'Afrique se limitent à de petites études isolées. Il y a, cependant, depuis longtemps une discipline particulière de l'archéologie allemande, qui s'intéresse prioritairement à l'Afrique et aux Vandales. C'est la soi-disant 'Frühgeschichte', un ressort comparable à l'archéologie mérovingienne en France. La 'Frühgeschichte' est depuis ses origines un ressort autonome, séparé de l'histoire et de l'archéologie de l'Antiquité. C'est pourquoi les spécialistes de cette discipline n'étaient parfois pas au courant des travaux des autres, particulièrement dans les régions méditerranéennes, ou l'archéologie classique était traditionnellement plus forte. Nous pouvons suivre cette séparation, qui est parfois presque bizarre, jusqu'à nos jours dans différents pays, mais surtout en Allemagne. La présente communication s'occupe de l'histoire des recherches des spécialistes de la 'Frühgeschichte' en Afrique, de la tradition et du changement dans les méthodes et, surtout, de la motivation pour ces recherches entre le 19ème siècle et nos jours. Ce dernier point est fortement relié à l'histoire contemporaine allemande et française et aux relations changeantes entre les deux pays. De cette manière, cette communication veut ajouter à cette journée doctorale un petit aspect de l'historiographie de l'Afrique, qui, certes, n'a pas influencé les grandes lignes de la recherche en Afrique, mais qui pourrait provoquer un certain intérêt pour une discipline qui semble être un peu étrange du point de vue maghrébin.

Alexandre Asanovic (Paris I) : " La Russie et l'héritage antique du 18ème siècle à la chute du Mur "

Doctorant sous la direction de M. CROISSANT à Paris I, il a fouillé en Espagne, en Grèce, sur le pourtour de la Mer Noire. Il décide de présenter comment la Russie a intégré l'héritage antique, mouvement impulsé par Pierre Le Grand (PLG). La période d'étude s'étend du 18ème siècle à la politique stalinienne. La Réforme voulue par PLG (révolution pétrovienne) est motivée par la volonté de garder et de développer un rôle de grande puissance. Sa réalisation prend la forme de pratiques empiriques. Dans un premier temps, il rompt avec la coutume qui veut que l'apport grec soit envisagé dans sa dimension chrétienne. Il prend le titre d'Imperator et décide d'emporter la culture occidentale et en particulier l'Antiquité. Mais il s'agit d'une Antiquité de seconde main, qui est déjà passée par le filtre de la Renaissance. Dans un second temps, il fait traduit des auteurs classiques et des ouvrages allemands. Il créée l'Académie qui fonctionne, à ses débuts, grâce à des professeurs allemands. Cette situation illustre bien le caractère importé de la Réforme et sa violence qui s'apparente à un modèle colonial " de l'intérieur ". Catherine II qui est l'héritière du premier Imperator poursuit l'œuvre en affirmant son goût pour le néo-classicisme. Elle fonde un enseignement public moderne et, grâce aux guerres menées contre les Ottomans, parvient à joindre le patrimoine antique de la Mer Noire à celui de la Russie. Un nouveau cadre civilisationnel s'instaure et la greffe fonctionne auprès des élites qui s'approprient cet héritage. Au 19ème siècle, la découverte de vestiges, la constitution de musée et l'émergence de chercheurs russes (influencés par la culture allemande) favorisent une certaine diffusion auprès du public. La Révolution française et l'invasion napoléonienne développent une atmosphère sociale exacerbant les valeurs héroïques inspirées des Romains. Au fur et à mesure, la recherche sur l'Antiquité s'autonomise et se spécialise. Malgré le chaos de la Révolution russe, la recherche se poursuit. En 1921, lors de la mise en place du premier plan quinquennal, la soumission de l'intelligentsia doit s'opérer de fait et la civilisation antique fait son entrée dans la théorie des stades. Elle est assimilée au stade esclavagiste. La terreur règne parmi les chercheurs (purges de Moscou) avec l'imposition de lois historiques permettant une justification de la dictature du prolétariat. L'Antiquité est instrumentalisée. Malgré ce contexte étouffant, les Instituts de recherche conçus par les Bolcheviks ont pu être novateurs en particulier grâce au postulat marxiste (étude sur la cité grecque, son territoire et sa base économique).

Discussion du matin

Concernant la communication de ALA, JPV souligne le rapprochement de l'historiographie marxiste entre la chora de la cité grecque et le kolkoze stalinien faisant en particulier référence à des articles parus dans la revue DHA. ALA précise en effet que les travaux des antiquisants ne se voulaient pas monolithiques et que les recherches étaient orientées vers l'explication des rapports de production dans l'organisation du territoire.

Concernant la communication de PHILIPPE VON RUMMEL (PVR), Denis Lengrand (DL) mentionne l'intérêt que portèrent des chercheurs français sur la science allemande. Il prend l'exemple de Camille Jullian et de la concurrence scientifique qui naît également de la défaite de 1870. Il termine en rappelant l'exemple de St. Gsell qui demande des financements pour concurrencer le CIL et R. Cagnat. PVR précise, en effet la quasi-impossibilité pour les chercheurs allemands de se rendre en Afrique du Nord ; ce sont des chercheurs qui travaillent uniquement à partir de reproduction. ROGER HANOUNE (RH) mentionne que Karl Marx passa sa convalescence en Afrique du Nord. Concernant les Vandales, il précise que les Français ont toujours un regard bienveillant envers les Vandales et explique que cette question fait entrer sur la scène scientifique un 3ème pays qui est la Pologne (fait circuler un livre polonais sur les Vandales). PVR nuance cette idée en expliquant que les Vandales sont tour à tour passé pour des slaves ou des germaniques en fonction des chercheurs. RH explique qu'il est difficile de maintenir un questionnement identitaire en rapport aux espaces étudiés. Il explique le problème que pose la découverte archéologique de nouveaux matériaux : il s'appuie sur d'un camp breton de la IIIème Auguste datant de Septime Sévère où ont été trouvées des poteries de " façon africaine ". Plusieurs membres du public s'interrogent alors sur les termes à employer : vandale, germanique… et PVR propose d'être prudent avec les interprétations ethniques. JPV s'interroge alors sur l'exemple développé par RH et le nom que l'on pourrait lui donner, céramique romaine d'Afrique ou céramique Africaine ?. RH choisit d'appeler ces poteries, céramiques de Bretagne car l'argile est bretonne. Mais il précise que le savoir-faire est incontestablement africain. JEAN-PIERRE LAPORTE (JPL) explique qu'il serait bon de remettre en cause le lien fait entre tribu et objet et que cette vision devrait être totalement abandonnée mais paradoxalement explique que chercher l'origine des gens qui produisent est déterminante. ELIANE LENOIR (EL) nuance cette idée car l'identification reste déterminante dans le travail de l'archéologue qui essaie de donner du sens. JPL reproche la pratique abusive qui est parfois appliquée et qu'il appelle la " théorie des filtres " ; elle consiste, selon lui, à faire passer les objets dans la passoire romaine, puis ensuite dans la passoire punique, ainsi tout ce qui n'est pas romain et tout ce qui n'est pas punique devient alors libyque. Il s'appuie sur l'exemple des massues qui ont été considérées comme libyques puis ensuite comme vandales. Il conclut en expliquant que l'appréhension du libyque est faite de manière négative. EL explique qu'il ne faut pas forcément remettre en cause tout le vocabulaire et que nommer les objets en fonction des expressions " pré-romain " ou " post-romain " répond à une nécessité. Elle précise qu'il serait possible d'utiliser un autre registre de vocabulaire, mais l'expression " poterie africaine " reste délicate. HD souligne alors que la discussion concernant les termes est récurrente dès qu'il s'agit de l'Afrique du Nord antique. EL poursuit en précisant que l'affinement de la datation est toujours possible en s'appuyant sur l'exemple maurétanien et que la difficulté réside en la saisie et le rattachement à un peuple déterminé.

Concernant la communication de MB, JPV demande si, en débutant l'étude dès le 11ème siècle, on ne se prive pas de l'apport de texte antérieur comme ceux d'Apollonius (de Rhodes ???) et d'une recherche antérieure aux Croisades. MB répond que son propos porte, en cette journée, sur les écrits des Occidentaux sur les Arabes et de ce fait ils n'en existent pas avant l'époque des Croisades. JPV se demande quelle est l'image des conquérants (de la péninsule espagnole) pour les Occidentaux, celle des arabes ou celles des berbères ? MB répond que cette question des origines ne se posera pas aux auteurs avant 1830. (pas sûre de la réponse)

Concernant la communication de ALA, JPV s'interroge sur la place de la revalorisation des Scythes. ALA précise que leur redécouverte est parallèle à l'engouement pour l'Antiquité, c'est-à-dire, au 18ème siècle. Il explique que les kourganes ont subi pillages et destruction et que ce n'est qu'à la fin du 18ème siècle que sont entreprises sur ces sites les premières fouilles. Il évoque le fait que, jusqu'au 19ème siècle, la figure du Scythe n'est pas rattachée à une vision nationale ou identitaire et que le regard des intellectuels se tourne plutôt vers l'héritage de la civilisation gréco-romaine et vers l'influence de l'Antiquité classique. Il propose l'exemple d'articles parus dans la revue bolchevique, au sein de laquelle Bloch et Tolstoï ?? porteront un intérêt à cette question des Scythes mais ils seront critiqués par Gorky ??. SSA se demande quelles sont les catégories sociales qui sont touchées par la revalorisation des Scythes sachant que ce sont les notables et l'aristocratie qui s'intéressèrent plus particulièrement à l'Antiquité gréco-romaine. ALA précise que cette redécouverte s'effectue dans un contexte de multiplication des publications bolcheviques et de ce fait le contexte et les supports de diffusion diffèrent de l'époque du nouvel intérêt pour l'histoire gréco-romaine au 18ème et 19ème siècles. Il précise que dans les années 1940, de nombreux objets disgracieux furent trouvés autour de la Mer Noire donc ils ont été considérés comme des objets scythes. ALA explique qu'ils furent trouvés dans un contexte de recherche sur la colonisation grecque et qu'en 1960, un chercheur démontra un hiatus de plusieurs siècles entre la colonisation grecque et l'installation des Scythes ??? Le débat n'est toujours pas clôt. (D. LENGRAND) se demande, concernant la communication d'ALA, si l'on peut importer l'influence comme un système de savoirs. ALA insiste sur cette possibilité mais précise que la redéfinition de l'Antiquité comme partie intégrante de la civilisation russe fut vécue comme une intrusion d'un modèle étranger par les Russes.

Concernant la communication de PVR, JPV s'interroge sur la recherche des villes vandales et la trace des fonds de cabanes. PVR précise que, ce sont uniquement des tombeaux ou des objets qui sont retrouvés et, de ce fait, il est impossible de savoir où ils habitaient (malgré les écrits de Procope) et tout ce que l'on connaît des Vandales en Afrique est très romain. En réponse à JPV, RH précise que la survivance des fonds de cabanes résident dans le fait qu'ils sont semi-enterrés et abaissés par rapport au niveau du sol. En réponse à PVR, il donne l'exemple d'une des fouilles qu'il mena dans les jardins de l'Ambassade à la Marsa (Tunisie). Persuadé que ce sont des thermes vandales, il précise que rien ne les différencie des thermes romains mais qu'en même temps, rien n'y est typiquement romain.

Concernant la communication de MB, RH se demande s'il a repéré la trace d'échanges commerciaux et dans quelles mesures ils contribuent à une connaissance des Arabes par les Occidentaux autrement que par les textes. Il s'appuie sur l'exemple de la chéchia. MB explique que les échanges commerciaux n'ont en effet jamais cessé. Il explique que les Pères de l'Eglise ont eu des échanges réguliers pour superviser le rachat des captifs. Il propose l'exemple de la correspondance de Léon L'Africain ???. RH se demande quelles sont les représentations alors véhiculées. Il s'appuie sur l'exemple du peintre Vermeyen qui accompagna Charles Quint en 1535 en Tunisie et qui rapporta des dessins. MB explique, en effet, que, dans les récits du siège de Mahdiya, les Occidentaux font la différence entre le sarrazin-ennemi et l'arabe. JPL conclut en expliquant que Mussolini fut l'initiateur de publication d'archives notariales qui mirent en évidence le commerce triangulaire entre Bougie, Tripoli et Venise (ou Gènes ???). Il termine par une anecdote en expliquant qu'il a retrouvé en Seine-et-Marne (musée, particulier ???) un tissu sassanide du 7ème siècle illustrant l'idée que le commerce ne s'arrêta pas.

Communications de l'après-midi

HEDI DRIDI (HD) a présidé la séance de l'après-midi et a présenté les intervenantes.

Leïla Najar (Paris X) : " L'image de l'Antiquité en Tunisie du milieu du 19ème siècle jusqu'à 1956 "
Elle travaille sur l'image de l'Antiquité dans la presse tunisienne se propose d'expliquer quelles sont les raisons qui motivent le public à s'intéresser à cette période. Elle étudie principalement deux types d'articles, ceux parus dans les revues spécialisées et ceux parus dans la presse de vulgarisation. Lorsqu'en 1874 est créée l'Institut de Carthage, la constitution de ce cercle intellectuel favorise l'éclosion de travaux. En 1903, la Société Archéologique de Sousse à laquelle participe le Dr Carton joue le même rôle. Les premiers journaux tunisiens sont publiés en italien (1839 : Giornali Di Tunisi, 1859) mais rapidement les journaux français vont proliférer (La Dépêche Tunisienne). Le premier journal en langue arabe, L'Indicateur Tunisien, apparaîtra durant le dernier quart du 19ème siècle. L'Antiquité n'est pas un sujet traité par la presse et lorsqu'un article lui est consacré, il est bien souvent de mauvaise qualité. Au 19ème siècle, l'intérêt des Tunisiens pour l'archéologie locale est minime car il est considéré que l'histoire débute avec la conquête arabe. Cette perception du temps est relayé par l'enseignement dispensé dans les kouttabs où l'apprentissage et l'éducation est centrée autour du Coran. En 1875, la réforme de l'enseignement permet l'émergence d'une plus large conscience historique et les Tunisiens adoptent une nouvelle posture face à l'histoire. Les vestiges archéologiques sont perçus comme plus sûrs que les sources écrites. L'objectif est alors de comprendre le présent à travers le passé et la France instrumentalise cette idée en se positionnant comme l'héritière de Rome en Tunisie. Ce sont alors les travaux hydrauliques des Romains qui vont intéresser les recherches françaises et les instances ministérielles en Tunisie. Deux enquêtes sont menées à la fin du 19ème. ???

Meriem Sebaï (Paris I) : " Les religions païennes en Afrique face à l'historiographie française de 1880 à 2000 "

Elle propose de s'intéresser à la manière dont on a pensé et écrit sur les religions antiques d'Afrique du Nord depuis 1880. Il s'agit de mettre en lumière les thèmes et les concepts qui ont été utilisés, les méthodes et réflexions qu'ils ont générées. Tout d'abord, lorsque que de nouveaux documents religieux sont découverts, le mode de classement s'organise autour de deux idées : dieux purement romains et dieux d'origine pré romaine. Par la suite, lorsque St. Gsell et J. Toutain établissent une liste des dieux se basant sur un matériel uniquement épigraphique, leurs ouvrages deviennent rapidement les seules références scientifiques. Leur perception Wissovienne du monde religieux mène aisément à un monothéisme latent qui devient alors jusqu'à nos jours la norme. Une seconde étape historiographique symbolisée par l'ouvrage de M. Benabou propose de réfléchir sur les questions religieuses en terme de résistance à la romanisation. Reprenant à cette occasion les thèmes chers à l'historiographie colonialiste, persistance et survivance, il opère volontairement une inversion " positive " de ces notions dans le contexte nationaliste des années soixante dix. Il ne peut cependant se détacher, en raison du peu de sources fiables, de la vision primitiviste, introduite par la recherche colonialiste, de la sphère sacrée libyque, ce faisant, ainsi, l'écho de G.-Ch. Charles Picard qui présente les Libyens comme un groupe culturel incapable de concevoir un panthéon divin. MSB présente différentes études anciennes qui proposent de s'appuyer sur la méthode ethnographique. Ainsi, le Dr Bertholon explique que les cultes libyques survivent au delà des siècles et que la danse du ventre serait une survivance des rituels de prostitution sacrée. Enfin, elle souligne l'effet pervers que représente le culte de Saturne à l'époque romaine dans la recherche du 20ème siècle que l'abondance des documents extra urbains érige en dieu unique et tout puissant du panthéon romain d'Afrique. Tous ces thèmes sont repris depuis plus d'un siècle par les deux historiographies colonialistes et nationalistes, fatalement subjectives et portant chacune un projet politique et idéologique, malgré un corpus documentaire qui permet d'aller plus loin dans l'étude objective de la vie religieuse de l'Afrique romaine et de son contexte méditerranéen classique.

Leïla Barkati (ParisVII) : " Les guerres puniques dans les manuels scolaires français : approches chronologique et historiographique à partir de 1960 "

Etudier l'écriture de l'histoire des guerres puniques dans les textes de langue française nécessite de s'interroger sur la place et l'évolution du discours didactique historique. Les manuels scolaires français et les instructions officielles deviennent alors des sources privilégiées d'histoire des idées. La période d'étude débute à la fin des années 50 lorsque le Maroc et la Tunisie recouvrent leur souveraineté. Ainsi, de 1956 à 2000, l'évolution majeure du traitement des guerres puniques dans les manuels scolaires est constituée par un abandon de la mise en récit et les leçons prennent progressivement la forme de courts énoncés ou utilisent le langage cartographique. En s'intéressant particulièrement à la présentation faite de Carthage dans les manuels scolaires des années 60 où le récit est encore très présent, on s'aperçoit que cette cité et son fonctionnement sont proposés comme un contre-modèle de Rome excluant de ce fait, toute intégration dans le champ de l'héritage antique, notion déterminante qui oriente l'apprentissage des jeunes élèves.

Discussion de l'après-midi

Concernant la communication de LB, (MBL) ??? précise que, à propos des programmes du secondaire, s'il existe une continuité dans l'enseignement de l'Antiquité en 6ème et 5ème, ce n'est plus le cas en ce qui concerne la classe de seconde et que l'élève passe de l'étude du citoyen en Grèce ancienne à l'étude du christianisme au 2ème siècle après J.-C. RH s'interroge sur la formation des auteurs de manuels proposés pour l'étude. RAYA BENGUIZA (RB) précise qu'il existe dans l'enseignement américain un grand intérêt pour les guerres puniques et qu'un établissement scolaire porte le nom de Carthage. VALERIE HUET (VH) explique que les présentations faites de Carthage dans les manuels lui rappellent celles proposées par les guides touristiques.

Concernant la communication de LEILA NAJAR (LN), HD est frappé par le peu d'allusions des articles sur l'Antiquité. LN explique qu'il est très difficile de consulter de façon suivie et méthodique des archives de presse. (MBL) ??? explique qu'il est également difficile d'établir une comparaison entre les Italiens de 1860 et ceux de Mussolini car le fascisme constitue une rupture dans la tradition coloniale italienne. JPL semble alors se rappeler d'une imprimerie fonctionnant grâce à l'abbé Bourgade avant 1860.

Concernant la communication de MSB, RB précise que Germaine Tillion a proposé une critique des travaux du Dr Bertholon. FRANCOISE BRIQUEL-CHATONNET (FBC) explique que la surévaluation du culte de Saturne est parallèle à celle du culte de Baal Hammon d'où la présence d'un héritage idéologique certain. MSB précise que la documentation sur Saturne se trouve concentrée en Afrique Proconsulaire ce qui doit nuancer l'image populaire d'un culte omniprésent.
JPV se pose alors la question de la manière dont peut être revisité le matériel. MSB prend l'exemple des temples à trois celle qui ont été considérés comme des temples typiquement africain et des témoins de l'orientalité des cultes africains. Elle précise pourtant qu'il est très difficile de faire un corpus cohérent de ces temples car ils sont tous différents et ne peuvent renvoyer à un profil ethnique quelconque de la religion d'Afrique romaine. SSA appuie cette idée. Elle explique que la plupart de ces temples sont d'époque sévérienne et que le modèle serait celui virtuel du temple de Jérusalem. ALA se demande dans quel état sont les vestiges. MSB répond que les sites ont été déblayés au 19ème et qu'il n'ont pas fait l'objet d'une fouille stratigraphique précise.
JPL explique qu'il est intéressé par l'imbrication qui peut exister entre le géographique et le temporel. MSB continue en expliquant qu'elle s'est aperçue du même phénomène lorsqu'elle s'est intéressée aux fêtes berbères. JPV s'interroge sur la portée des gestes et l'impact d'une approche ethnographique et/ou anthropologique concernant ce sujet. VH précise que justement elle s'est livrée à une expérience sous forme de comparaison entre la gestuelle des Napolitains actuels et celle les bas-reliefs de banquet à Rome. VH explique qu'elle cherche une explication au geste récurrent suivant : les doigts de la main sont posés sur le front et le coude se trouve face à la poitrine et non pas excentré. Elle n'a pas encore abouti à une explication satisfaisante et elle lance un appel. MSB propose deux exemples d'utilisation de l'explication anthropologique ou ethnologique. Le premier qu'elle expose est tiré de l'œuvre de Decret et Fantar reprend l'idée que l'origine de la danse du ventre est une pratique dérivée des rituels de prostitution sacrée dans le culte rendu à Baal Hammon. Le deuxième exemple proposé par MSB est celui des statuettes féminines du Musée du Bardo qui ont les mains au niveau de/posées sur la poitrine. MSB explique qu'elle fut témoin d'une scène contemporaine qui fit écho à la posture adoptée par les statuettes : une femme tunisienne tournant sur elle-même, les mains soutenant les seins, veillant sa fille sur le point d'accoucher.
A propos de Gsell, DL explique que St. Gsell a peur qu'il arrive à la France ce qui est arrivé à Rome en Algérie et considère que la perte de la latinité résulte de causes internes. Il précise alors que l'ambition de St. Gsell est de faire une histoire sociale. Il poursuit son développement sur le rôle de la religion punique et le lien avec la prédestination " naturelle " des Berbères qui tendent au monothéisme parce que " sémites". MSB précise que M. Le Glay a repris la problématique de St. Gsell et de J. Toutain à savoir que l'Algérie serait condamnée à terme. RB précise que l'œuvre de St. Gsell est devenue une bible en Tunisie et cette situation pose le problème de la fixation de l'écrit. RH évoque le " Berthisme " (Rome et la Numidie) et l'idée qui se maintient dans la population que le Kef serait l'ancienne Cirta. DL poursuit en proposant de faire un parallèle entre St. Gsell et P. Bourdieu qui propose le maintien de la structure sociale. Il explique que l'hypothèse est que même si le berbère parle le latin, cette pratique constitue une simple couche et qu'il existerait l'idée d'un inconscient collectif qui serait celui de la " berbérie villageoise ". MAURICE LENOIR (ML) réagit pour nuancer ces analyses. Il est sceptique sur l'idée de permanence et sur la notion de " berbère ". ML explique que le problème concerne les couches sociales et que visiblement les élites ont adhéré rapidement et pleinement au modèle romain. D'après lui " Le Berbère n'existe pas ! " Il s'agirait alors d'un remplacement d'une domination par une autre. EL précise que du point de vue archéologique Volubilis est, par exemple, une ville totalement romaine. ML explique alors que le terme berbère n'existe pas dans l'Antiquité et qu'il est apparu au 8ème ou 9ème siècle de notre ère avec les généalogistes arabes. MB appuie cette datation. FBC mentionne que ce problème résulte de la vision de globalité que l'on chercherait à appliquer. JPL nuance en mentionnant la communauté de langue libyque. ML (entrée théâtrale et amusante) rappelle que le libyque occidental et le libyque oriental sont différents car l'un a été partiellement traduit et l'autre pas. JPV expose l'idée que les peuples aux marges du système romain commercèrent avec Rome et contribuèrent également à sa chute. EL rappelle également que la science est tributaire de ses connaissances et que le chercheur ne trouve que ce qu'il connaît. MSB explique qu'il existe encore de nos jours une obsession de la recherche de la norme romaine et que cette posture intellectuelle engendre immanquablement des problèmes idéologiques.

 

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