Compte rendu du colloque international en hommage à Mhammed-Hassine Fantar
Siliana-Tunis, 10-13 mars 2004

Les Phéniciens et les Autochtones en Méditerranée



Ce colloque, prévu à l'origine en 2003 à été retardé en raison du contexte international. Il a finalement eu lieu du 10 au 13 mars dernier à Siliana et à Tunis pour le dernier jour. Soutenu par une équipe dynamique composée d'étudiants, de responsables de la délégation à la culture du gouvernorat de Siliana, ainsi que par le Ministère de la Culture et l'INP, Ahmed Ferjaoui a offert aux participants un accueil chaleureux et une atmosphère propice aux échanges entre les différents participants qui a incontestablement contribué au très bon niveau scientifique de cette réunion. Ajoutons que ces rencontres ont été relevées par la présence de nombreux étudiants et doctorants venus spécialement de Tunis et de France.

Après la présentation de l'oeuvre de Mhamed-Hassine Fantar par M. Sznycer, les premières interventions ont été consacrées aux phéniciens avec une communication de P. Bordreuil, intitulée 'Rustici nostri ...Chanani…' : à propos des pays de Kanaan. L'auteur, y tente d'évaluer l'étendue du territoire cananéen et en particulier sa frontière nord à la lumière des données bibliques et épigraphique.
Dans sa communication intitulée Les relations entre les cités phéniciennes et les royaumes d'Israël et de Juda, F. Briquel Châtonnet revient sur un thème qui lui est cher pour nous inviter à un réexamen des relations entre les Phéniciens et leurs voisins méridionaux à la lumière des discussions récentes, notamment celles qui ont été suscitées par l'ouvrage d'I. Finkelstein et de N. A. Silberman (The Bible unearthed. Archaeology's New Vision of Ancient Israel and the Origin of It's Sacred Texts, The Free Press, New York, 2001, publié en Français sous le titre La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l'archéologie, Bayard, Paris, 2002). Par la suite, P. Bartoloni a présenté un panorama des relations entre Phéniciens et Sardes dans une communication intitulée Fenici e popolazione nuragiche tra VII e VI secolo a.c.

A l'issue de la discussion qui a suivi ces trois premières communications, nous avons été invité à nous rendre sur le site de Zama Regia où A. Ferjaoui puis J.-M. Paillet et enfin P. Bartoloni nous ont présenté leurs fouilles. La visite de ce site impressionnant et prometteur s'est achevée par un couscous (trop piquant pour certains d'entre nous …) dans la plus pure tradition locale. De Zama, nous nous sommes rendus à Makhtar ou nous avons visité le musée et le site sous la houlette de F. Bejaoui.

L'activité scientifique a repris le lendemain avec les communications de R. Zucca, Indigeni e Fenici nelle isole di San Vittorio (Carloforte, Ca) e Mal di Ventre (Cabras, Or), lue par P. Bartoloni car l'auteur devait rejoindre le site de Lixus. A. Lemaire a ensuite évoqué le contexte historique de la fondation de Carthage (Remarques sur le contexte historique et culturel de la fondation de Carthage). Soulignant que la pression néo-assyrienne, habituellement invoquée pour expliquer la fondation de Carthage, n'est pas attestée avant la 2e moitié du VIIe s. av. J.-C., il propose d'examiner l'hypothèse d'une pression araméenne, exercée par le roi de Damas Hazaël.
Au cours de la séance suivante, dans sa communication intitulée Divinités phéniciennes et divinités autochtones en Méditerranée: quelques exemples, M. G. Guzzo Amadasi, a examiné les rapports entre Phéniciens et autochtones à travers le caractère particulier que prennent certains divinités au contact de populations non phéniciennes : Milqart, Ashtart, 'Eshmun. Ensuite, D. Briquel, a insisté sur le traitement similaire réservé aux Étrusques et aux Carthaginois dans les sources grecques dans une communication intitulée Carthage et l'Étrurie, deux grandes puissances barbares de la Méditerranée Occidentale. Enfin, pour clore la séance, M. Sznycer a évoqué Carthage et les anciens Maltais.

La séance suivante a été consacrée à la Sicile et la Sardaigne :
S. F. Bondì, dans une communication intitulée Cartagine e gli Elimi, s'est attaqué au mythe tenace de l'ancienneté des relations entre Phéniciens et Élymes, transmis par Thucydide. Contestant la date haute (VIIIe s.) à laquelle semble se référer l'auteur grec, S.F. Bondì a estimé que ces relations n'ont pas pu s'établir avant le VIe s. Par ailleurs l'auteur nous a invité à réexaminer la nature des relations entre Élymes et Carthaginois qui ne semblent pas aussi évidentes que ne le laisse entendre Thucydide. Il remarque ainsi l'absence des Carthaginois des affaires siciliennes au début du VIe s. ainsi que celle des Elymes de la bataille d'Himère en 480. Cette communication a été idéalement complétée par celle de J.-P. Morel qui, sous le titre Carthage et l'"aire élyme" : affinités céramiques, proposait une approche céramologique et archéologique de la question des relations punico-élymes.
La section consacrée à la Sardaigne était consistante avec pas moins de quatre communications : celle de P. Bernardini, Cartagine e la Sardegna: dalla conquista all'integrazione (540-238 a.C.), celle de M. Garbati, Cartaginesi e Sardi : Aspetti religiosi dell'incontro, celle de M.L. Uberti, Tarros e i Sardi et enfin, celle de H. Dridi, Entre Autochtones et Puniques quelle identité pour Sid à Antas. L'ensemble des intervenants a mis l'accent sur les problèmes soulevés par l'interprétation des témoignages attestant de la continuité d'occupation (nuragique - phénicienne - punique) et de la mixité des populations dans les temples et les sanctuaires.

De la Méditerranée centrale nous sommes ensuite passés à la Méditerranée occidentale avec la section ibérique et d'abord une communication de J. Ramòn Torres intitulée Cartago y su influencia en el extremo occidente fenicio durante la época arcaica (C. -750/-450), dans laquelle l'auteur examine les importations carthaginoises en Occident. Outre les différents témoignages céramologiques, on signalera une stèle de type carthaginois reconstituée, provenant de la nécropole de Puig des Molins à Ibiza. Par la suite, J.M. Blazquez a présenté une communication intitulée Carthage et les Barcides dans laquelle il a insisté sur la reprise des Romains des exploitations minières établies par les Barcides dans l'arrière-pays de Carthagène. La question des rapports avec les Ibères a été évoquée par J. Sanmarti dans une communication intitulée Phéniciens, Carthaginois et Ibères : cinq siècles de rapports économiques et culturels. Après avoir rappelé l'étendue territoriale du monde ibérique qui va du sud d'Alicante aux Pyrénées (voire même au-delà, avec le Languedoc), l'auteur analyse la nature des rapports entre les Ibères et le monde phénicien et punique à travers le matériel céramique. Par la suite, J. Ramòn Torres et M. Josepa Estanyol I Fuentes, auxquels il faut associer M. A. Esquembre et Gl. Graziani qui n'ont pas pu faire le déplacement ont présenté Deux nouvelles inscriptions puniques d'Ibiza dont une ressemble étrangement aux supports de statuettes mis au jour à Antas en Sardaigne. Cette découverte se révèle extrêmement intéressante dans la mesure où elle pourrait témoigner des relations entre Ibiza et le sud-ouest de la Sardaigne.
Dans sa communication intitulée, Los etíopes sagrados del Xion y los fenicios de Kernè-Mogador, F. López Pardo, s'est intéressé aux activités des Phéniciens sur la façade atlantique du Maroc et aux 'Ethiopiens d'Occident' avec lesquels ils commerçaient. N. Villaverde Vega qui mène des fouilles à Melilla (Rusaddir) a présenté un compte rendu de ses activités : Importaciones y producciones locales de ceramica : el poblamiento de Rusaddir en Mauritania Occidental (Siglos V a. de C. - I de C.), notamment ses fouilles Plaza de Armas qui révèlent l'existence d'une population plutôt isolée de son hinterland mais entretenant d'étroites relations avec la Péninsule ibérique.
Avec K. Mansel qui s'est exprimée ensuite, nous sommes revenus à Carthage. Dans sa communication intitulée Carthage aux VIIIe et VIIe siècles av. J.-C. Autochtones dans la métropole punique ?, elle a examiné un lot de céramique commune provenant du flanc sud-est de la colline de Byrsa. Ce matériel souvent dédaigné recèle pourtant de précieuses informations. Ainsi, le fait que l'on a plutôt employé des formes locales pour la vaisselle de cuisine atteste probablement de la mixité de la population à très haute époque. De la céramique, nous sommes passés à l'iconographie avec Z. Chérif qui a étudié L'image du Libyque à travers les documents figurés. Nous sommes ensuite passés à l'espace funéraire avec la communication de H. Ben Younès, Les Libyphéniciens habitants du Sahel Préromain, dans laquelle l'auteur a relevé les caractères propres aux habitudes funéraires de la population de Byzacène. Il a ainsi noté la rareté des lampes phénico-puniques.
Par la suite, deux communications ont traité des rapports de Carthage avec son territoire proche. S. Ribichini a lu celle de L.-I. Manfredi, intitulée Cartagine e l'assetto territoriale del Nord Africa. S. Crouzet a ensuite présenté une communication intitulée, La domination de Carthage en Afrique à travers les sources gréco-romaines, dans laquelle elle s'est interrogée sur le statut civique des peuples soumis à Carthage.
Dans sa propre communication, S. Ribichini s'est interrogé sur les rapports entre Grecs et Carthaginois, les deux principaux protagonistes de l'histoire préromaine de la Sicile et en particulier sur l'origine du taureau de Phalaris qui aurait été enlevé par les Carthaginois aux Agrigentins et restitué plus tard par Scipion l'Africain selon les sources anciennes (voir notamment Cicéron dans ses Verrines XXXIII, 73). D'après l'auteur, le taureau restitué par Scipion serait en fait carthaginois.
Par la suite, S. Ben Tahar a présenté, dans le cadre de sa communication intitulée Quelques réflexions sur les autochtones de Gightis à l'époque punique, le matériel céramique exhumé en 2001, lors d'une fouille d'urgence. La communication de A. Ferjaoui s'intitulait Le pays de Zama et Carthage de l'alliance à l'intégration. L'auteur y présente un modèlisation des rapports entretenus par Carthage avec les cités de son hinterland. Ainsi, dans le cas de Zama, l'auteur distingue deux phases, une première phase d'alliance qui s'étend jusqu'au IIIe s. av. J.-C. suivie par une phase d'intégration à Carthage.
La journée s'est ensuite achevée par deux communications traitant de l'Algérie avec celle de A. Mederos Martin qui a présenté une communication intitulée, Un Nuevo Analisis de la Necropolis " Fenicia " de Rachgoun - Algéria et celle de J.-P. Laporte, Notes sur Puniques et autochtones en Algérie.

La dernière journée du colloque s'est déroulée à Tunis, dans le cadre toujours aussi prestigieux de Dar Hassine, siège de l'Institut National du Patrimoine. Le nombre important de communications à présenter a incité l'Organisateur à les scinder en deux sessions parallèles - la première plutôt archéologique et la seconde plutôt historique - ce qui a permis de tenir le programme.
Dans la première session, le Maroc était à l'honneur avec R. Arhabi qui a présenté les Nouvelles recherches sur les niveaux préromains de Banasa. Ensuite, Y. Lebohec a évoqué dans sa communication intitulée L'armée de la Numidie au temps de Juba I, des aspects peu étudiés de l'organisation et des pratiques des armées numides. De la guerre nous sommes ensuite passés à la religion et à l'iconographie de la Dea Caelestis avec la communication M. Paz Garcia Bellido intitulée Documentation ibérique et africaine pour l'identification iconographique de Dea Caelestis. Plusieurs communications ont ensuite traité des 'tophets' : A. Ruiz Cabrero et V. Peña, La pervivencia de los tophet como elemento de cohesión territorial tras la caída de Cartago, H. Bénichou-Safar a examiné le tophets à travers les sanctuaires à Saturne (Les tophets éclairés par les sanctuaires à Saturne), H. Krimi a présenté une série de stèles découvertes à Gabès (Cultures punique et romaine dans le pays d'el-Aradh), A. Mcharek a présenté des stèles de tradition punique (Le sanctuaire de Baal Hammon-Saturne à Fahs Bulla) et enfin F. Chelbi a évoqué La diffusion de la céramique à vernis noir dans la Tuskat.
La seconde session a notamment rassemblé les communications de Messieurs J.-M. Pailler, Polybe et les partenaires africains de Carthage, Cl. Lepelley, Un témoignage de saint Augustin sur l'ampleur et les limites de l'usage de la langue punique dans l'Afrique de son temps, A. Bannour, Survivances puniques dans les parlers tunisiens.

En conclusion, on ne peut que remercier et féliciter A. Ferjaoui et sa dynamique équipe ainsi que l'ensemble de ses collègues (F. Béjaoui, M. Khanoussi notamment) pour leur accueil, et surtout pour avoir réuni un si grand nombre de chercheurs et suscité des rencontres qui, nous l'espérons, seront fructueuses à l'avenir. Nous voudrions particulièrement rendre hommage à tous les étudiants et doctorants qui ont fait le déplacement à Siliana.

Hédi Dridi