Chers amis,
Notre huitième réunion s'est tenue comme convenu
le 12 décembre à Paris 7 de 9h30 à 12h. 9
étudiants y ont assisté, 6 ont été
excusés. Malgré le petit nombre de présents,
il faut saluer la présence de Virginie Bridoux, Julie Wereich
qui venaient respectivement de Rouen, Montpellier, Hédi
Dridi, M. Bennabes, Sophie Saint-Amans, Leyla Barkati, Leïla
Najjar, Kenza Zinaï, Mohamed Ali Ladhari.
Après une rapide présentation, nous avons passé
en revue l'ensemble des informations scientifiques du moment :
1- Agenda scientifique.
Parmi les rendez-vous scientifiques concernant l'Afrique nous
avons retenu :
- 16ème Colloque de l'Africa Romana qui aura lieu du 9
au 12 décembre 2004 à Rabat
- 1ère table du GDR qui aura lieu au Collège de
France le 22 octobre 2004 sur le thème : Le sacrifice
en Afrique
- Colloque organisé par A. Ferjaoui à Siliana du
10 au 14 mars 2004 sur le thème : Carthage et les autochtones.
- 4ème Colloque de la SEMPAM sur le thème : Aires
sacrées, temples, mosquées, lieux de cultes en Afrique
du Nord depuis la protohistoire jusqu'à l'époque
médiévale.
Aucune nouvelle publication n'a été signalée
aujourd'hui.
2-Activités d'Africa Antiqua
Mohamed Bennabes propose de consacrer une séance de travail
autour des méthodes de numérisation du CIL
VIII, pour les doctorants qui seraient intéressés
par ce projet. De même, il propose la tenue, le 20 janvier
2004, d'une réunion d'initiation avec un géographe
sur le logiciel de cartographie Corel Draw.
Mériem Sebaï
Annexe 1 : résumé de l'exposé.
Hédi Dridi, LE TRONE DE LIXUS
Introduction
Le site de Lixus (phénicien LK, grec LIXOS, LINX,
LIXA, latin LIXUS) se trouve à 5 km de la ville actuelle
de Larache sur la côte atlantique du Maroc. Il occupe le
plateau de TCHEMMICH (la racine arabe de ce toponyme est à
mettre en rapport avec la légende MQM M des
monnaies puniques), dominant la vallée de l'Oued Loukos.
Situé sur la rive droite du Loukos, l'établissement
disposait d'un mouillage naturel, à l'abri de l'océan.
D'après la tradition littéraire, la ville de Lixus
fut fondée vers 1100 av. J.-C. par des navigateurs phéniciens,
à la même époque que Cadix et Utique (Pline
HN XIX, 63; Desanges 1992). Elle est mentionnée dans le
Périple d'Hannon (7-8; connu par une version grecque remontant
au IVe s.) ainsi que par le périple du pseudo-Skylax (112;
compilation datée du IVe s. av. J.-C., interpolée
et abrégée aux siècles suivants). Par ailleurs,
d'après Pline l'Ancien, c'est dans la vallée du
Loukos que se trouvait le jardin des Hespérides (HN V,
3).
Les prospections et les fouilles qui y furent menées depuis
le XIXe s. ont permis de mettre au jour différentes parties
de la ville : quartier des temples, quartier des maisons puniques;
un amphithéâtre, une zone d'usines de salaisons sur
les rives du Loukos et la nécropole. Toutefois, ces vestiges
ne remontent pas plus haut que les VII-VIe s. av. J.-C. Les données
recueillies montrent tout de même une ville ayant connu
une première apogée jusqu'au Ve siècle av.
J.-C., probablement grâce à la mise en marche des
industries de salaisons, puis un second moment faste à
l'époque maurétanienne, attesté par la construction,
vers le milieu du Ier s. av. J.-C. de la grande usine de garum
au sud de la ville, près du fleuve (Aranegui et al. 1992,
p. 10). Par la suite, la ville déclinera progressivement.
Les indications les plus révélatrices sur Lixus
phénicienne et punique proviennent du sondage dit del algarrobo
(le caroubier), réalisés par M. Tarradell dans les
années 50. (Tarradell, 1960, a et b, entre autres). Malheureusement
les résultats n'ont jamais été publiés
en détail ..." (Aranegui et al. 1992, p. 11). Ces
données sont complétées par des objets exceptionnels
bien connus parmi lesquels figurent un scarabée de Naucratis
(Égypte), un bronze représentant Baal Hadad, plusieurs
monnaies et inscriptions ainsi que le célèbre sphinx
que nous allons évoquer (Aranegui et al. 1992, p. 11, voir
Cintas 1954 et Tarradell 1960).
Actuellement, la recherche se poursuit à Lixus grâce
notamment à l'activité de trois missions mixtes,
maroco-française, maroco-espagnole et maroco-italienne.
Le Sphinx de Lixus
Dès sa découverte, la 'sphinge de Lixus' a été
considérée comme un témoignage emblématique
du Maroc phénicien et punique en général,
et de cette cité en particulier. Pourtant, à l'examen
des données objectives dont nous disposons, rien ne permet
de confirmer ce statut particulier. Certes, ce type de monument
est assez fréquent dans l'univers phénicien et punique
et l'iconographie du sphinx est largement diffusée dans
le répertoire phénico-punique. Mais cela suffit-il
à définir le relief de Lixus comme punique ou comme
phénicien ?
Ce fragment qui constituait le parement gauche d'un trône
votif, fut mis au jour par M. Tarradell en 1950, lors de la fouille
d'un édifice situé sur le flanc méridional
de l'acropole de Lixus. La structure, de plan rectangulaire (10
x 14,60 m), était munie d'une abside au N dont la paroi
était conservée en élévation jusqu'à
une hauteur de 5 m (Tarradell 1956b, p. 386). Son mur latéral
E se distinguait des autres parties du bâtiment par l'emploi
de grands blocs bien appareillés. D'après le fouilleur,
il était antérieur au reste du bâtiment et
daterait de l'époque préimpériale. Quant
au reste de l'édifice, il remonterait à l'époque
romaine tardive (IIe-IIIe s. ap. J.-C., Tarradell 1956b, p. 387).
Il s'agit d'un bloc de marbre blanc (vraisemblablement pentélique)
grossièrement parallélépipédique.
Le meuble dont il faisait partie était de dimension réduite
puisque le bloc conservé n'a que 32 cm de hauteur maximale
pour 28,5 cm de largeur et 10 cm d'épaisseur. Le sommet
semble avoir été retaillé car il ne comporte
aucun plan horizontal. Mis à part le retour de la base
et de la poitrine de la sphinge, la face interne du parement n'a
pas été sculptée, mais un rebord horizontal,
taillé en dessous des accoudoirs fait ressortir un parallélépipède
qui occupe tout le reste de la superficie. Cet aménagement
était visiblement destiné à assurer l'emboîtement
du parement avec les autres parties constitutives du meuble, peut-être
au moyen d'agrafes (Tarradell 1956b, p. 385-386 et fig. 2.). Outre
le haut de la tête et l'extrémité de l'aile
qui semblent avoir été sciés, le visage et
la poitrine de la sphinge ont subi une forte abrasion mais l'état
de conservation de la sculpture reste relativement satisfaisant.
Le relief ainsi que le piédestal sont représentés
sur trois des faces du parement : de profil sur la face externe,
de face sur la tranche et encore de profil mais uniquement la
partie antérieure sur la face interne. Le piédestal
de 5,5 cm de hauteur est orné de deux moulures en léger
relief.
Sur le plan typologique, notre monument se rattache de toute
évidence aux trônes flanqués de sphinx qui,
du sarcophage d'Ahiram daté du Xe s. av. J.-C. (Montet
1928-1929, p. 215-238, Haran 1958; Chéhab 1970-1971; Porada
1973), au 'Ba'al de Thinissut' daté du Ier s. ap. J.-C.
(Merlin 1910), sont largement attestés dans le monde phénicien
et punique (Gubel 1987, p. 37-75, pl. I-XIII). Ce type de monument,
réalisé ou représenté sur différents
supports et sur plus d'un millénaire a subi plusieurs variations,
stylistiques et iconographiques.
Au vu des parallèles attestés en Orient et en Occident,
il nous paraît difficile d'établir une filiation
stylistique entre le sphinx de Lixus et les autres pièces
relevant de la même typologie. Plusieurs détails
: la tête, le traitement des plumes ou le piédestal
en font une pièce singulière au sein de sa série,
ayant à la fois des caractères archaïques ou
plutôt archaïsants (le motif décoratif du tablier,
la position de l'aile) et des caractères plus récents
(le traitement des plumes, le piédestal mouluré).
Les données stylistiques et iconographiques ne fournissent
donc pas d'argument décisif permettant d'établir
une filiation artistique ferme pour cette pièce.
Ce parement, avec ses 32 cm de hauteur conservée, était
visiblement un ex voto. Dans son étude sur les trônes,
M. Delcor a distingué trois types de trônes, selon
qu'ils sont vides, qu'ils comportent des représentations
sculptées ou qu'ils ont conservé la marque d'un
tenon destiné à fixer un objet rapporté (Delcor
1983, p. 779-780). On notera alors que l'Afrique du Nord n'a pas
livré de trônes vides, ce qui nous inciterait à
supposer que celui de Lixus était également occupé.
Quant à la divinité à laquelle il a été
voué, elle reste difficile à déterminer en
l'absence d'une inscription car comme le constatait C. Bonnet
: " Le sphinx lixitain qui flanquait un trône était
sans doute en rapport avec une divinité locale, mais il
est impossible de savoir s'il s'agit d'un dieu, d'une déesse,
voire d'un bétyle " (Bonnet 1992, p. 126).
Conclusion
Les données archéologiques en témoignent,
les trônes flanqués de sphinx sont largement diffusés
sur toute la côte syro-palestinienne et l'occident phénicien
et punique et cela depuis au moins le XIIIe s. av. J.-C.
En ce sens, la présence d'un fragment de trône à
Lixus n'a rien d'étonnant. Mais notre examen a montré
que cette pièce était singulière au sein
de sa série. Qu'il s'agisse du lieu de sa mise au jour,
de sa matière ou de son traitement stylistique, il est
difficile d'établir des parallèles étroits
et de la replacer dans un cadre chronologique et spatial solide.
Nous avons avancé les arguments qui nous paraissent militer
en faveur d'une datation basse de ce trône que nous rattacherons
volontiers à d'autres productions d'Afrique du Nord du
dernier siècle avant notre ère. Mais il faut reconnaître
que les éléments indiscutables manquent.
Hédi DRIDI
Bibliographie
AA VV 1990 = AA VV (1990) : De l'Empire romain aux Villes impériales,
6000 ans d'art au Maroc, Paris-Musées, Paris.
AA VV 1999 = AA. VV. (1999) : Maroc. Les trésors du royaume,
Catalogue de l'exposition, Musée du Petit-Palais, Paris,
15 avril-18 juillet 1999, Éditions Plume - Paris-Musées
- AFAA, Paris.
Aranegui et al. 1992 = ARANEGUI GASCO, C., BELEN, M., FERNANDEZ
MIRANDA, M. ET HERNANDEZ, E. (1992) : "La recherche archéologique
espagnole à Lixus : bilan et perspectives", dans :
Lixus, Actes du colloque, Larache 8-11 novembre 1989 (= CEFR 166),
p. 7-15, EFR, Rome.
Barnett 1975 = BARNETT, R.D. (1975²) : A Catalogue of the
Nimrud Ivories with other examples of Ancient Near Eastern Ivories
in the British Museum, deuxième édition (1e édition,
1957), British Museum Publications Ltd, Londres.
Bonnet 1992 = BONNET, C. (1992) : "Les divinités de
Lixus", dans : Lixus, Actes du colloque, Larache 8-11 novembre
1989 (= CEFR 166), p. 123-129, EFR, Rome.
Bonnet 1996 = BONNET, C. (1996) : Astarté. Dossier documentaire
et perspectives historiques (= Studi Fenici 37), CNR, Rome.
Chérif 1988 = CHERIF, Z. (1988) : "L'image du sphinx
sur les monuments carthaginois", dans : REPPAL 4, p. 171-203.
Cintas 1951 = CINTAS, P. (1951) : "Deux campagnes de fouilles
à Utique", dans : Karthago 2, p. 1-88.
Cintas 1952 = CINTAS, P. (1952) : "La "Grande Dame"
de Carthage", dans : CRAIBL, p. 17-20.
Cintas 1954 = CINTAS, P. (1954) : Contribution à l'étude
de l'expansion phénicienne au Maroc, AMG, Paris.
D'Albiac 1992 = D'ALBIAC, C. (1992) : "Some aspects of the
Sphinx in Cyprus: Status and Character", dans : Studies in
honor of Vasos Karageorghis, p. 285-290, pl. LI-LIII, Society
of Cypriot Studies, Nicosie.
Danthine 1939 = DANTHINE, H. (1939) : "L'imagerie des trônes
vides et des trônes porteurs de symboles dans le Proche-Orient
ancien", dans : Mélanges syriens offerts à
Monsieur René Dussaud par ses amis et ses élèves
II (= BAH 30), p. 857-866, pl. I-III, Geuthner, Paris.
Delcor 1983 = DELCOR, M. (1983) : "Les trônes d'Astarté",
dans : ACFP I, 3, Actes du premier Congrès des Études
Phéniciennes et Puniques, Rome, 5-10 novembre 1979, P.
Bartoloni et al. éds. (= Studi Fenici 16), p. 777-787,
pl. CXLVI-CL, CNR, Rome.
Desanges 1992 = DESANGES, J. (1992) : "Lixos dans les sources
littéraires grecques et latines", dans : Lixus, Actes
du colloque, Larache 8-11 novembre 1989 (= CEFR 166), p. 1-6 et
405-409, EFR, Rome.
Doumet-Serhal et al. 1997 = DOUMET-SERHAL, C., MAÏLA-AFEICHE,
A.-M., RABATE, A. ET EL-DAHDAH, F. (1997) : Pierres et Croyances.
100 Objets sculptés des Antiquités du Liban, Direction
Générale des Antiquités - The Lebanese British
Friends of the National Museum, Londres.
Lixus 2005 = ARANEGUI GASCÓ, C., éd. (2005) : Lixus-2
Ladera Sur. Excavaciones arqueológicas maroco-españolas
en la colonia fenicia, Campañas 2000-2003 (= Saguntum Extra
- 6), Universitat de Valencia - Institut National des Sciences
de l'Archéologie et du Patrimoine, Valence.
Lixus 2001 = ARANEGUI GASCO, C., éd. (2001) : Lixus. Colonia
fenicia y ciudad púnico-mauritana. Anotaciones sobre su
ocupación medieval (= Saguntum Extra - 4), Universitat
de Valencia - Institut National des Sciences de l'Archéologie
et du Patrimoine, Valence.
Metzger 1985 = METZGER, M. (1985) : Königsthron und Gottesthron.
Throndarstellungen in Ägypten und im Vorderen Orient im dritten
und zweiten Jahrtausend vor Christus und deren Bedeutung für
dasVerständnis von Aussagen über den Thron im Alten
Testament, vol. 1 : texte, vol. 2 : catalogue et planches (= AOAT
15), Butzon & Bercker Kevelaer, Neukirchen-Vluyn.
MGAG 1993 = AMADASI GUZZO, M.G. (1993) : "Astarte in trono",
dans : Studies in the Archaeology and History of Ancient Israel
in Honour of Moshe Dothan, p. 163-180, Haifa University Press,
Haifa.
Niemeyer 1992 = NIEMEYER, H.G. (1992) : "Lixus : fondation
de la première expansion phénicienne vue de Carthage",
dans : Lixus, Actes du colloque, Larache 8-11 novembre 1989 (=
CEFR 166), p. 45-57, EFR, Rome.
Ponsich 1981 = PONSICH, M. (1981) : LIXVS. Le quartier des temples
(= Études et travaux d'archéologie marocaine IX),
Division des Monuments Historiques et des Antiquités du
Maroc, Rabat.
Ponsich 1982 = PONSICH, M. (1982) : "Lixus; informations
archéologiques", dans : ANRW II, 10, 2, Berlin-New
York.
Porada 1973 = PORADA, E. (1973) : "Notes on the Sarcophagus
of Ahiram", dans : JANES 5 (= The Gaster Festschrift), p.
355-372.
Swiggers 1983 = SWIGGERS, P. (1983) : "Le trône d'Astarté
: une inscription tyrienne du second siècle av. J.-C.",
dans : Studia Phoenicia 1-2, I. Redt Tyrus/Sauvons Tyr / II. Histoire
phénicienne/Fenicische Geschiedenis. E. Gubel, E. Lipinsk
et B. Servais-Soyez, éds. (= Orientalia Lovaniensia Analecta
15), p. 125-132, Peeters, Louvain.
Tarradell 1952 = TARRADELL, M. (1952) : "Una esfinge, parte
de un trono de divinidad púnica de Lixus (Marruecos)",
dans : CNArq II, Madrid 1951, p. 435-438, pl. LXX-LXXIII, Seminario
de Arqueologia y Numismatica Aragonesa, Saragosse.
Tarradell 1956a = TARRADELL, M. (1956) : "Las excavaciones
de Lixus y su aportacion a la cronologia de los inicios de la
expancion fenicio-cartaginesa en el extremo occidente", dans
: IV Congresso Internacional de Ciencas Prehistoricas y Protohistoricas,
Madrid 1954, p. 789-796, Saragosse.
Tarradell 1956b = TARRADELL, M. (1956) : "De nuevo sobra
la esfinge de Lixus", dans : Homenaje a Millás-Vallicrosa
vol. II, p. 383-402, CSIC, Barcelone.
Tarradell 1959 = TARRADELL, M. (1959) : Lixus, Historia de la
ciudad, Guia de las ruinas, Tétouan.
Xella 1992 = Xella, P. (1992) : "La religion phénico-punique
au Maroc. Les apports de l'épigraphie", dans : Lixus,
Actes du colloque, Larache 8-11 novembre 1989 (= CEFR 166), p.
137-143, EFR, Rome.