Compte rendu de la sixième réunion d'Afriqua Antiqua

Maison Avicenne, Cité Universitaire
Boulevard Jourdan, 75014 Paris

Mardi 10 juin 2003


Chers amis,

Notre 6e réunion s'est tenue le mardi 10 mai, de 15 à 18 h. Nous étions 22 étudiants et jeunes chercheurs ; 5 nouveaux venus s'étaient joints à nous, élargissant notre groupe à de nouvelles périodes et d'autres disciplines. Changement de décor aussi, puisque nous nous sommes, pour la première fois, retrouvés à la Maison Avicenne où Khaled Marmouri et Salem Mokni, se chargeant de l'organisation de cette journée, avaient convaincu son directeur, M. Christol, de nous accueillir.

1) Définition et bilan d'Africa Antiqua

Après qu'Hédi Dridi ait présenté le programme de la réunion, Mohamed Benabbès a rappelé dans quel esprit avait été créé Africa Antiqua et il en a dressé le bilan. Il a rappelé que nous nous sommes rencontrés pour la première fois il y a maintenant un peu plus d'un an, le 15 mai 2002, à la MAE de Nanterre. Nous étions 22 personnes lors de cette réunion très amicale et nous étions tous et toutes très convaincus à la fois de l'utilité du travail collectif et de la nécessité de renforcer les liens entre tous les jeunes africanistes, sans se cantonner à nos universités de rattachement.
Mohammed a commencé par rappeler que le nom Africa antiqua a été choisi pour évoquer cette région sur laquelle nous travaillons tous, totalement ou en partie, mais que, s'il paraissait souhaitable de rassembler les africanistes, il fallait également éviter de ne réunir que les africanistes africains ; si aujourd'hui le nombre des étudiants maghrébins ou d'origine maghrébine reste majoritaire, ce n'est pas par esprit de clanisme, mais tout simplement parce que quantitativement, ils sont plus nombreux à travailler sur l'Afrique du Nord antique.
Il a ensuite rappelé que le projet Africa Antiqua était né avant tout de multiples frustrations : frustrations dues au manque d'information et surtout à son manque de circulation, frustrations dues au trac que nous inspire la prise de parole devant un auditoire, frustrations dues à l'absence de liens et d'espaces de rencontre entre doctorants et jeunes chercheurs travaillant sur l'Afrique et enfin, frustrations dues au manque de contacts entre doctorants africanistes au-delà des frontières.
Pour y remédier, c'est l'idée de liens et de réseau qui s'est imposée et le premier élément qui nous identifie ou plutôt qui nous définit et sur lequel nous insistons est l'informalité : Africa Antiqua ne possède pas de statut juridique, elle n'est pas une association, elle ne se rattache à aucune université ni à aucun professeur. Africa Antiqua a été pensée avant tout comme un espace de rencontre, de discussion, d'échanges et d'écoute et, par le biais de notre site Internet, comme une passerelle de circulation de l'information.
On pourrait se demander pourquoi organiser ces rencontres informelles alors qu'il existe déjà un grand nombre de structures du type écoles doctorales ou séminaires qui, en théorie, permettent aux doctorants d'exposer, de poser des questions ou encore d'être écoutés. Or, l'expérience prouve que l'on a, en général, du mal à franchir le seuil de la parole au cours de ces séminaires et parler, s'exprimer, poser des questions ou présenter des exposés, s'avèrent souvent difficile. Ceci ajouté à l'appréhension que nous inspirent souvent nos directeurs de recherche respectifs font de ces séminaires des espaces intimidants pour les débutants que nous sommes et nous imposent une certaine auto-censure. Pourtant, que l'on choisisse la voie de l'enseignement ou celle de la recherche, prendre la parole en public, échanger et communiquer seront pour nous tous des outils de travail indispensables et il faut se préparer à les utiliser avec le plus d'aisance et de confiance possible. Africa Antiqua n'est pas une alternative, mais plutôt une initiative complémentaire et une préparation aux 'séminaires classiques'.

Aujourd'hui après un an de travail, mais aussi d'amitié, nous nous sommes retrouvés pour essayer de dresser un premier bilan. D'abord, nous avons réussi à réunir régulièrement plusieurs doctorants et jeunes chercheurs travaillant sur l'histoire de l'Afrique. Bien que le taux de présence ait été assez variable, certains n'ont jamais manqué nos réunions et, si notre groupe a survécu, c'est grâce à tous ceux qui ont, chaque fois, pris la peine de se déplacer, parfois de très loin : de Lille, de Rouen ou de Montpellier. Au total, 6 réunions ont été organisées depuis le 15 mai 2002, au cours desquelles nous avons écouté 8 exposés présentés par Salem Mokni, François-Xavier Romanacce, Imed Ben Jerbania, Moheddine Chaouali, Bakhta Mokraenta, Sondess Gragueb, Virginie Bridoux, Mohamed Benabbès, Meriem Sebaï. Tous ces exposés qui, pour certains étaient des répétitions avant une communication en public, ont été suivis de discussions plus ou moins animées dont le principal intérêt fut de confronter des points de vue exprimés par des participants venant d'horizons scientifiques, sinon géographiquement, du moins chronologiquement assez divers.
Ce premier constat met en évidence trois points positifs : Africa Antiqua a permis de faire se rencontrer des étudiants qui ne se connaissaient absolument pas alors qu'ils travaillaient sur des sujets parfois très proches ; elle a déjà permis à 8 d'entre nous de s'entraîner à parler en public ; enfin elle a suscité des échanges et des débats, ce qui est primordial dans la préparation d'une thèse.
Outre l'organisation régulière de ces rencontres, un second objectif a été atteint : la réalisation du site Africaantiqua.free.fr., reflet et support matériel de notre activité dont la fonction est de se partager l'information et de la diffuser au plus grand nombre d'entre nous. On y trouve ainsi, non seulement les comptes-rendus de nos réunions, mais aussi des chroniques bibliographiques et surtout un agenda scientifique mis à jour le plus régulièrement possible. Ce site est aussi un espace de rencontre virtuelle et nous avons d'abord eu la volonté, en le concevant, de mettre en commun nos connaissances et d'aider ceux qui ne disposent pas de certains documents. Enfin, il permet à tous de consulter un annuaire des thèses et DEA portant sur l'Afrique antique et constitue ainsi un réseau informel de chercheurs à travers la France, le Maghreb et toute l'Europe. Ce site est vivant, en évolution presque permanente, et grâce à notre ami et conseiller informatique Gérald, nous en découvrirons très bientôt une nouvelle version fantastique et très professionnelle. Enfin, la plupart d'entre nous reçoivent régulièrement, depuis l'année dernière, des mails concernant nos réunions, les conférences et les séminaires susceptibles de nous intéresser. C'est l'autre principal point positif : ce site concrétise bien notre désir de créer des liens et de faire circuler l'information.

Voilà ce que nous avons réussi à réaliser aujourd'hui. Ce qui nous reste à faire est énorme, mais pour progresser sur des bases solides, il ne suffit pas de faire valoir nos points forts, il faut aussi cerner nos faiblesses et trouver le moyen d'y remédier.
On a d'abord reproché à Africa Antiqua, mais c'était surtout au début, d'être trop " paris-centristes ". Il s'agissait surtout de l'annuaire des thèses dans lequel ne figuraient presque que des parisiens et de l'agenda scientifique qui se cantonnait encore aux universités parisiennes. C'était vrai, mais ça l'est de moins en moins depuis que, par le biais d'Africa Antiqua notamment, d'autres contacts se sont peu à peu établis, notre réseau s'élargissant progressivement au-delà de Paris et même de la France. La preuve en est notre dernière réunion à Aix, car l'absence de cadre formel, le fait que nous ne soyons pas rattachés à tel ou tel centre de recherche, nous a encouragé à nous délocaliser, de Nanterre au début, à Aix la dernière fois, aujourd'hui à Avicenne, demain à Jussieu, l'année prochaine à Montpellier et à Lille, et pourquoi par à Tunis, à Sousse, à Rabat ou à Alger. Preuve en est également la présence régulière de nos amis non parisiens comme Nicolas, Virginie et Julie et, plus ponctuellement, celle d'étudiants venus du Maghreb, mais aussi la mention, dans l'annuaire des thèses, de doctorants poursuivant leurs études au Maghreb, en Italie, en Espagne, en Allemagne et aux USA, ainsi que l'annonce de colloques relatifs à l'Afrique tenus dans d'autres universités.
On a également reproché aux trois personnes qui sont à l'origine de cette initiative : Hédi, Meriem et Mohammed, de constituer " le nombril " du groupe Africa Antiqua et que celui-ci soit trop attaché à eux trois. C'était vrai au début, le temps de mettre le train sur les rails, puisqu'il s'agissait de leur projet et que, de fait, ils se trouvaient les mieux à même de le concrétiser. Mais, il faut aussi reconnaître qu'au cours des trois dernières réunions au moins, beaucoup de personnes ont pris la parole ; il faut surtout rappeler que, dès la première réunion, tous les participants ont été largement invités à contribuer, non seulement aux discussions, mais aussi à l'organisation des rencontres et c'est effectivement ce qui c'est passé avec Arbia Helali, Leïla Najar, Sophie Saint-Amans, Virginie Bridoux, et aujourd'hui, Khaled Marmouri et Salem Mokni. Mais comme les critiques sur ce point persistent toujours, nous proposons à nouveau aujourd'hui, publiquement, que le comité organisateur change à chaque réunion et que lors de chacune de ces réunions, nous choisissions ensemble les collègues qui se chargeront de la coordination pour la préparation matérielle et scientifique de la rencontre suivante et/ou de la rédaction de son compte-rendu. Bien sûr, vous pourrez toujours compter sur l'expérience de Meriem, Mohammed et d'Hédi.
Le succès de notre groupe, c'est à vous de le mesurer, mais pour nous, votre présence massive est très satisfaisante et très significative de l'intérêt que vous portez, que nous portons tous à ces réunions et au réseau Africa antiqua.

2) Actualités scientifiques

La seconde partie de la réunion a été consacrée aux actualités de l'histoire et de l'archéologie africaine. Virginie Bridoux nous a d'abord présenté les thermes de Djebel-Oust à la fouille desquels elle a participé au mois de mai, dans le cadre du programme co-dirigé par Aïcha Ben Abed et John Scheid. Elle nous a également informé que M. et E. Lenoir reprenaient les fouilles de Banasa à partir de l'automne prochain.
Puis Leïla Najar nous a résumé la teneur du colloque de Rouen " Identités et cultures dans l'Algérie antique " auquel elle a assisté à la mi-mai (Annexe 1), colloque pour lequel Virginie Bridoux et Mohamed Benabbès avaient préparé les communications qu'ils nous ont présenté à la séance précédente (cf. Compte rendu n° 5).
Enfin, Raya Ben Guiza a rendu compte des deux conférences que M. Fantar est venu récemment donner à Paris, à l'Académie des Inscriptions et des Belles Lettres et à la Société Asiatique.
Pour finir sur l'agenda scientifique, il faut retenir deux dates : celle du Colloque de Siliana, organisé par A. Ferjaoui, qui se tiendra vraisemblablement entre le 20 et le 30 octobre 2003 et celle de la prochaine réunion de la SEMPAM qui aura lieu à Bordeaux, au musée d'Aquitaine, les 11 et 12 du même mois.

3) Exposé

En raison du peu de temps qui nous restait, la présentation des derniers ouvrages scientifiques a été éclipsée, mais vous la trouverez dans la rubrique Chroniques, afin d'entendre Meriem Sebaï nous présenter sa communication préparée pour la journée organisée le 18 mai en hommage à Yvon Thébert : " Vers une décolonisation de l'histoire de l'Afrique ? ". (Annexe 2). Son exposé a été suivi d'une discussion assez animée, portant principalement sur le thème de l'existence ou non d'une identité berbère homogène et constante à travers différentes aires géographiques et différentes périodes historiques.


Sophie Saint-Amans & Meriem Sebaï

 


 


Annexe 1 : Compte rendu du colloque de Rouen

Le colloque s'est déroulé du 16 au 17 mai dernier. 21 communications, traitant de quatre thèmes ont été présentées :
1) Les royaumes Numides et Maures.
2) Evolution des composantes identitaires (Iè siècle avant J.-C.- IIIè siècle après J.-C.).
3) Art, archéologie et culture.
4) Identités : permanences et rupture.

L'objectif de ce colloque était de définir les diverses composantes culturelles en Afrique du Nord. La question de la coexistence ou de la résistance aux influences externes a été notamment soulevée. En se basant sur des études onomastiques, épigraphiques, religieuses et funéraires, les communicants ont tenté de restituer le vrai visage de l'histoire de l'Afrique du Nord antique.
Michèle COLTELLONI-TRANNOY, à travers sa communication intitulée " Les rois numides et l'hellénisme dans le royaume de Maurétanie ", essaie d'analyser l'usage du Grec comme phénomène d'hellénisation. Quoique cet usage reste une caractéristique pour les élites, surtout les rois, il constitue un volet non négligeable dans les provinces africaines. La permanence d'une identité linguistique grecque est visible à côté de la langue africaine fondée sur les langues locales (Libyque, Punique ou Néo-punique) ; l'auteur a conclu sa communication en soulignant que " Le grec n'a jamais été une langue de pouvoir, mais une langue à large diffusion ". Si les diverses composantes culturelles en Afrique du Nord sont traitées chez Michèle COLTELLONI-TRANNOY par l'usage du Grec, d'autres communications se fondant sur des bases religieuses ou militaires affirment cette coexistence. J'attire l'attention ici sur deux communications : " Saturne et ses fidèles ", présentée par Nacéra BEN SEDDIK et " Des cavaliers numides dans l'armée romaine ", présentée par Christine HAMDOUNE. Toutes ces communications se rejoignent autour d'une nouvelle image de l'Antiquité en Afrique du Nord, différente de celle qui était tracée par l'historiographie du XIXè début XXè siècle. Pour cette dernière, l'histoire de l'Afrique du Nord reste l'histoire de Rome et des Romains, et sur plusieurs siècles l'histoire des Puniques, Numides et Maures a été mise entre parenthèse.
Leïla Najar

Annexe 2 : Résumé de l'exposé

Meriem Sebaî, " Vers une décolonisation de l'histoire de l'Afrique ? "
Pour rendre hommage à l'œuvre d'Y. Thébert, dans le cadre de la " Journée d'étude en hommage à Yvon THEBERT ", j'ai choisi un article qui me paraît fondamental dans son œuvre et fondamental aussi dans la perspective historiographique africaniste : " Romanisation et déromanisation en Afrique : histoire décolonisée ou histoire inversée ? ", publié en 1978 dans la revue Les Annales, au T. 33. Cet article se présente comme un point de vue sur la thèse de M. Bénabou, La résistance africaine à la romanisation, Paris, 1976. Ainsi, Y. Thébert montre bien qu'en adoptant la notion de résistance, M. Bénabou, adopte le point de vue des Africains et se fait le défenseur de la culture africaine, sans, toutefois, se départir des problématiques traditionnelles. En effet l'utilisation d'une série de concepts (résistance, Berbères, Maghreb) utilisés comme principes explicatifs de l'histoire africaine abouti à une inversion des thèmes développés par l'historiographie colonialiste. L'importance donné au vocabulaire par Y. Thébert, me paraît être particulièrement intéressante dans la mesure où elle permet de mieux tenir compte des contextes historiques dans lesquels l'écriture de l'histoire africaine s'élabore. Cette vision nous convie à une réflexion sur nos propores conditionnement intellectuels et culturels, mais elle nous permet également de parvenir à histoire de l'Afrique libérée des concepts véhiculés par des idéologies d'un autre temps. Cette vision fait apparaître l'Afrique comme une zone intégrée dans l'espace et le contexte méditérranéen réélaborant non pas une culture Africaine mais des cultures toutes " authentiquement Africaines ".