Chers amis,
Notre 6e réunion s'est tenue le mardi 10 mai, de 15 à
18 h. Nous étions 22 étudiants et jeunes chercheurs
; 5 nouveaux venus s'étaient joints à nous, élargissant
notre groupe à de nouvelles périodes et d'autres
disciplines. Changement de décor aussi, puisque nous nous
sommes, pour la première fois, retrouvés à
la Maison Avicenne où Khaled Marmouri et Salem Mokni, se
chargeant de l'organisation de cette journée, avaient convaincu
son directeur, M. Christol, de nous accueillir.
1) Définition et bilan d'Africa Antiqua
Après qu'Hédi Dridi ait présenté
le programme de la réunion, Mohamed Benabbès a rappelé
dans quel esprit avait été créé Africa
Antiqua et il en a dressé le bilan. Il a rappelé
que nous nous sommes rencontrés pour la première
fois il y a maintenant un peu plus d'un an, le 15 mai 2002, à
la MAE de Nanterre. Nous étions 22 personnes lors de cette
réunion très amicale et nous étions tous
et toutes très convaincus à la fois de l'utilité
du travail collectif et de la nécessité de renforcer
les liens entre tous les jeunes africanistes, sans se cantonner
à nos universités de rattachement.
Mohammed a commencé par rappeler que le nom Africa antiqua
a été choisi pour évoquer cette région
sur laquelle nous travaillons tous, totalement ou en partie, mais
que, s'il paraissait souhaitable de rassembler les africanistes,
il fallait également éviter de ne réunir
que les africanistes africains ; si aujourd'hui le nombre des
étudiants maghrébins ou d'origine maghrébine
reste majoritaire, ce n'est pas par esprit de clanisme, mais tout
simplement parce que quantitativement, ils sont plus nombreux
à travailler sur l'Afrique du Nord antique.
Il a ensuite rappelé que le projet Africa Antiqua était
né avant tout de multiples frustrations : frustrations
dues au manque d'information et surtout à son manque de
circulation, frustrations dues au trac que nous inspire la prise
de parole devant un auditoire, frustrations dues à l'absence
de liens et d'espaces de rencontre entre doctorants et jeunes
chercheurs travaillant sur l'Afrique et enfin, frustrations dues
au manque de contacts entre doctorants africanistes au-delà
des frontières.
Pour y remédier, c'est l'idée de liens et de réseau
qui s'est imposée et le premier élément qui
nous identifie ou plutôt qui nous définit et sur
lequel nous insistons est l'informalité : Africa Antiqua
ne possède pas de statut juridique, elle n'est pas une
association, elle ne se rattache à aucune université
ni à aucun professeur. Africa Antiqua a été
pensée avant tout comme un espace de rencontre, de discussion,
d'échanges et d'écoute et, par le biais de notre
site Internet, comme une passerelle de circulation de l'information.
On pourrait se demander pourquoi organiser ces rencontres informelles
alors qu'il existe déjà un grand nombre de structures
du type écoles doctorales ou séminaires qui, en
théorie, permettent aux doctorants d'exposer, de poser
des questions ou encore d'être écoutés. Or,
l'expérience prouve que l'on a, en général,
du mal à franchir le seuil de la parole au cours de ces
séminaires et parler, s'exprimer, poser des questions ou
présenter des exposés, s'avèrent souvent
difficile. Ceci ajouté à l'appréhension que
nous inspirent souvent nos directeurs de recherche respectifs
font de ces séminaires des espaces intimidants pour les
débutants que nous sommes et nous imposent une certaine
auto-censure. Pourtant, que l'on choisisse la voie de l'enseignement
ou celle de la recherche, prendre la parole en public, échanger
et communiquer seront pour nous tous des outils de travail indispensables
et il faut se préparer à les utiliser avec le plus
d'aisance et de confiance possible. Africa Antiqua n'est pas une
alternative, mais plutôt une initiative complémentaire
et une préparation aux 'séminaires classiques'.
Aujourd'hui après un an de travail, mais aussi d'amitié,
nous nous sommes retrouvés pour essayer de dresser un premier
bilan. D'abord, nous avons réussi à réunir
régulièrement plusieurs doctorants et jeunes chercheurs
travaillant sur l'histoire de l'Afrique. Bien que le taux de présence
ait été assez variable, certains n'ont jamais manqué
nos réunions et, si notre groupe a survécu, c'est
grâce à tous ceux qui ont, chaque fois, pris la peine
de se déplacer, parfois de très loin : de Lille,
de Rouen ou de Montpellier. Au total, 6 réunions ont été
organisées depuis le 15 mai 2002, au cours desquelles nous
avons écouté 8 exposés présentés
par Salem Mokni, François-Xavier Romanacce, Imed Ben Jerbania,
Moheddine Chaouali, Bakhta Mokraenta, Sondess Gragueb, Virginie
Bridoux, Mohamed Benabbès, Meriem Sebaï. Tous ces
exposés qui, pour certains étaient des répétitions
avant une communication en public, ont été suivis
de discussions plus ou moins animées dont le principal
intérêt fut de confronter des points de vue exprimés
par des participants venant d'horizons scientifiques, sinon géographiquement,
du moins chronologiquement assez divers.
Ce premier constat met en évidence trois points positifs
: Africa Antiqua a permis de faire se rencontrer des étudiants
qui ne se connaissaient absolument pas alors qu'ils travaillaient
sur des sujets parfois très proches ; elle a déjà
permis à 8 d'entre nous de s'entraîner à parler
en public ; enfin elle a suscité des échanges et
des débats, ce qui est primordial dans la préparation
d'une thèse.
Outre l'organisation régulière de ces rencontres,
un second objectif a été atteint : la réalisation
du site Africaantiqua.free.fr., reflet et support matériel
de notre activité dont la fonction est de se partager l'information
et de la diffuser au plus grand nombre d'entre nous. On y trouve
ainsi, non seulement les comptes-rendus de nos réunions,
mais aussi des chroniques bibliographiques et surtout un agenda
scientifique mis à jour le plus régulièrement
possible. Ce site est aussi un espace de rencontre virtuelle et
nous avons d'abord eu la volonté, en le concevant, de mettre
en commun nos connaissances et d'aider ceux qui ne disposent pas
de certains documents. Enfin, il permet à tous de consulter
un annuaire des thèses et DEA portant sur l'Afrique antique
et constitue ainsi un réseau informel de chercheurs à
travers la France, le Maghreb et toute l'Europe. Ce site est vivant,
en évolution presque permanente, et grâce à
notre ami et conseiller informatique Gérald, nous en découvrirons
très bientôt une nouvelle version fantastique et
très professionnelle. Enfin, la plupart d'entre nous reçoivent
régulièrement, depuis l'année dernière,
des mails concernant nos réunions, les conférences
et les séminaires susceptibles de nous intéresser.
C'est l'autre principal point positif : ce site concrétise
bien notre désir de créer des liens et de faire
circuler l'information.
Voilà ce que nous avons réussi à réaliser
aujourd'hui. Ce qui nous reste à faire est énorme,
mais pour progresser sur des bases solides, il ne suffit pas de
faire valoir nos points forts, il faut aussi cerner nos faiblesses
et trouver le moyen d'y remédier.
On a d'abord reproché à Africa Antiqua, mais c'était
surtout au début, d'être trop " paris-centristes
". Il s'agissait surtout de l'annuaire des thèses
dans lequel ne figuraient presque que des parisiens et de l'agenda
scientifique qui se cantonnait encore aux universités parisiennes.
C'était vrai, mais ça l'est de moins en moins depuis
que, par le biais d'Africa Antiqua notamment, d'autres contacts
se sont peu à peu établis, notre réseau s'élargissant
progressivement au-delà de Paris et même de la France.
La preuve en est notre dernière réunion à
Aix, car l'absence de cadre formel, le fait que nous ne soyons
pas rattachés à tel ou tel centre de recherche,
nous a encouragé à nous délocaliser, de Nanterre
au début, à Aix la dernière fois, aujourd'hui
à Avicenne, demain à Jussieu, l'année prochaine
à Montpellier et à Lille, et pourquoi par à
Tunis, à Sousse, à Rabat ou à Alger. Preuve
en est également la présence régulière
de nos amis non parisiens comme Nicolas, Virginie et Julie et,
plus ponctuellement, celle d'étudiants venus du Maghreb,
mais aussi la mention, dans l'annuaire des thèses, de doctorants
poursuivant leurs études au Maghreb, en Italie, en Espagne,
en Allemagne et aux USA, ainsi que l'annonce de colloques relatifs
à l'Afrique tenus dans d'autres universités.
On a également reproché aux trois personnes qui
sont à l'origine de cette initiative : Hédi, Meriem
et Mohammed, de constituer " le nombril " du groupe
Africa Antiqua et que celui-ci soit trop attaché à
eux trois. C'était vrai au début, le temps de mettre
le train sur les rails, puisqu'il s'agissait de leur projet et
que, de fait, ils se trouvaient les mieux à même
de le concrétiser. Mais, il faut aussi reconnaître
qu'au cours des trois dernières réunions au moins,
beaucoup de personnes ont pris la parole ; il faut surtout rappeler
que, dès la première réunion, tous les participants
ont été largement invités à contribuer,
non seulement aux discussions, mais aussi à l'organisation
des rencontres et c'est effectivement ce qui c'est passé
avec Arbia Helali, Leïla Najar, Sophie Saint-Amans, Virginie
Bridoux, et aujourd'hui, Khaled Marmouri et Salem Mokni. Mais
comme les critiques sur ce point persistent toujours, nous proposons
à nouveau aujourd'hui, publiquement, que le comité
organisateur change à chaque réunion et que lors
de chacune de ces réunions, nous choisissions ensemble
les collègues qui se chargeront de la coordination pour
la préparation matérielle et scientifique de la
rencontre suivante et/ou de la rédaction de son compte-rendu.
Bien sûr, vous pourrez toujours compter sur l'expérience
de Meriem, Mohammed et d'Hédi.
Le succès de notre groupe, c'est à vous de le mesurer,
mais pour nous, votre présence massive est très
satisfaisante et très significative de l'intérêt
que vous portez, que nous portons tous à ces réunions
et au réseau Africa antiqua.
2) Actualités scientifiques
La seconde partie de la réunion a été consacrée
aux actualités de l'histoire et de l'archéologie
africaine. Virginie Bridoux nous a d'abord présenté
les thermes de Djebel-Oust à la fouille desquels elle a
participé au mois de mai, dans le cadre du programme co-dirigé
par Aïcha Ben Abed et John Scheid. Elle nous a également
informé que M. et E. Lenoir reprenaient les fouilles de
Banasa à partir de l'automne prochain.
Puis Leïla Najar nous a résumé la teneur du
colloque de Rouen " Identités et cultures dans l'Algérie
antique " auquel elle a assisté à la mi-mai
(Annexe 1), colloque pour lequel Virginie Bridoux et Mohamed Benabbès
avaient préparé les communications qu'ils nous ont
présenté à la séance précédente
(cf. Compte rendu n° 5).
Enfin, Raya Ben Guiza a rendu compte des deux conférences
que M. Fantar est venu récemment donner à Paris,
à l'Académie des Inscriptions et des Belles Lettres
et à la Société Asiatique.
Pour finir sur l'agenda scientifique, il faut retenir deux dates
: celle du Colloque de Siliana, organisé par A. Ferjaoui,
qui se tiendra vraisemblablement entre le 20 et le 30 octobre
2003 et celle de la prochaine réunion de la SEMPAM qui
aura lieu à Bordeaux, au musée d'Aquitaine, les
11 et 12 du même mois.
3) Exposé
En raison du peu de temps qui nous restait, la présentation
des derniers ouvrages scientifiques a été éclipsée,
mais vous la trouverez dans la rubrique Chroniques,
afin d'entendre Meriem Sebaï nous présenter sa communication
préparée pour la journée organisée
le 18 mai en hommage à Yvon Thébert : " Vers
une décolonisation de l'histoire de l'Afrique ? ".
(Annexe 2). Son exposé a été suivi d'une
discussion assez animée, portant principalement sur le
thème de l'existence ou non d'une identité berbère
homogène et constante à travers différentes
aires géographiques et différentes périodes
historiques.
Sophie Saint-Amans & Meriem Sebaï
Annexe 1 : Compte rendu du colloque de Rouen
Le colloque s'est déroulé du 16 au 17 mai dernier.
21 communications, traitant de quatre thèmes ont été
présentées :
1) Les royaumes Numides et Maures.
2) Evolution des composantes identitaires (Iè siècle
avant J.-C.- IIIè siècle après J.-C.).
3) Art, archéologie et culture.
4) Identités : permanences et rupture.
L'objectif de ce colloque était de définir les
diverses composantes culturelles en Afrique du Nord. La question
de la coexistence ou de la résistance aux influences externes
a été notamment soulevée. En se basant sur
des études onomastiques, épigraphiques, religieuses
et funéraires, les communicants ont tenté de restituer
le vrai visage de l'histoire de l'Afrique du Nord antique.
Michèle COLTELLONI-TRANNOY, à travers sa communication
intitulée " Les rois numides et l'hellénisme
dans le royaume de Maurétanie ", essaie d'analyser
l'usage du Grec comme phénomène d'hellénisation.
Quoique cet usage reste une caractéristique pour les élites,
surtout les rois, il constitue un volet non négligeable
dans les provinces africaines. La permanence d'une identité
linguistique grecque est visible à côté de
la langue africaine fondée sur les langues locales (Libyque,
Punique ou Néo-punique) ; l'auteur a conclu sa communication
en soulignant que " Le grec n'a jamais été
une langue de pouvoir, mais une langue à large diffusion
". Si les diverses composantes culturelles en Afrique du
Nord sont traitées chez Michèle COLTELLONI-TRANNOY
par l'usage du Grec, d'autres communications se fondant sur des
bases religieuses ou militaires affirment cette coexistence. J'attire
l'attention ici sur deux communications : " Saturne et ses
fidèles ", présentée par Nacéra
BEN SEDDIK et " Des cavaliers numides dans l'armée
romaine ", présentée par Christine HAMDOUNE.
Toutes ces communications se rejoignent autour d'une nouvelle
image de l'Antiquité en Afrique du Nord, différente
de celle qui était tracée par l'historiographie
du XIXè début XXè siècle. Pour cette
dernière, l'histoire de l'Afrique du Nord reste l'histoire
de Rome et des Romains, et sur plusieurs siècles l'histoire
des Puniques, Numides et Maures a été mise entre
parenthèse.
Leïla Najar
Annexe 2 : Résumé de l'exposé
Meriem Sebaî, " Vers une décolonisation de
l'histoire de l'Afrique ? "
Pour rendre hommage à l'uvre d'Y. Thébert,
dans le cadre de la " Journée d'étude en hommage
à Yvon THEBERT ", j'ai choisi un article qui me paraît
fondamental dans son uvre et fondamental aussi dans la perspective
historiographique africaniste : " Romanisation et déromanisation
en Afrique : histoire décolonisée ou histoire inversée
? ", publié en 1978 dans la revue Les Annales, au
T. 33. Cet article se présente comme un point de vue sur
la thèse de M. Bénabou, La résistance africaine
à la romanisation, Paris, 1976. Ainsi, Y. Thébert
montre bien qu'en adoptant la notion de résistance, M.
Bénabou, adopte le point de vue des Africains et se fait
le défenseur de la culture africaine, sans, toutefois,
se départir des problématiques traditionnelles.
En effet l'utilisation d'une série de concepts (résistance,
Berbères, Maghreb) utilisés comme principes explicatifs
de l'histoire africaine abouti à une inversion des thèmes
développés par l'historiographie colonialiste. L'importance
donné au vocabulaire par Y. Thébert, me paraît
être particulièrement intéressante dans la
mesure où elle permet de mieux tenir compte des contextes
historiques dans lesquels l'écriture de l'histoire africaine
s'élabore. Cette vision nous convie à une réflexion
sur nos propores conditionnement intellectuels et culturels, mais
elle nous permet également de parvenir à histoire
de l'Afrique libérée des concepts véhiculés
par des idéologies d'un autre temps. Cette vision fait
apparaître l'Afrique comme une zone intégrée
dans l'espace et le contexte méditérranéen
réélaborant non pas une culture Africaine mais des
cultures toutes " authentiquement Africaines ".